mercredi 9 avril 2008

Chronique intermédiaire 11

Méditation sur le Vice.


Le vice dans son acception la plus traditionnelle se définit littéralement comme une disposition naturelle à faire le mal. Cette définition qui est de l'ordre de la simplification grossière cantonne la notion que chacun peut avoir du vice à une caricature presque chimérique de sa réalité complexe et protéiforme. Aucun individu, sauf ceux qui se révèlent conformes à cette caricature, et hélas il y en a, ne pense sérieusement qu'il puisse être considéré comme ayant des dispositions naturelles à faire le mal. Ce manque de discernement subtil est déjà la manifestation d'une disposition vicieuse, car elle cultive des imperfections graves, dont la principale est l'ignorance, qui rend impropre l'usage de la faculté de discerner, ce qui est aussi un des premiers critères du vice.

S'imaginer que le vice se résume à ce que la tradition Judéo-Chrétienne qualifie de 7 péchés capitaux, c'est justement s'enfermer dans une vision dogmatique et rustique de la conception du vice ; même si ces 7 péchés capitaux symbolisent la forme la plus archaïque de cette disposition vicieuse, celle reposant sur l'animalité des cinq sens organiques. Notons au passage que la civilisation judéo-chrétienne qui prétend élever sa spiritualité par la domination de ces 7 péchés capitaux, a en réalité produit une civilisation qui est la plus pure expression de ces vices archaïques qui sont tous liés aux besoins sensoriels. La publicité qui est le plus puissant agent de propagande de cette civilisation, fait constamment référence à ces 7 péchés capitaux pour promouvoir ses produits, marchandises, babioles, colifichets, services, apparences, modes, tendances qu'elle impose comme règle d'une normalité hors de laquelle il n'y a, parait-il, aucune dignité. Cette publicité qui s'infiltre au travers de tous les moyens médiatiques, parvient à atteindre les enfants dès leur plus jeune âge, et avec une régularité de métronome, et une légèreté de bulldozer, elle dépose dans ces jeunes cerveaux n'ayant pas encore atteint le seuil où s'activent les défenses intellectuelles, l'empreinte qui deviendra indélébile de ces "valeurs" sociales, les fameux 7 péchés capitaux. Ces valeurs sont fausses pour la bonne et simple raison qu'elles asservissent au lieu de libérer, comme le démontre l'accablant constat qui peut en être fait aujourd'hui, comme sur une longue période écoulée.

Pour parvenir à ce résultat il faut bien évidemment que ces pseudo "valeurs" ne soient pas présentées comme des vices, mais comme des vertus. Ce travestissement est celui qui découle de l'intelligence que certains prêtent au représentant du vice, je veux parler de la figure emblématique du diable, et qui serait parvenu à convaincre un monde crédule qu'en réalité il n'existait pas. Le vice ne peut accéder au pouvoir qu'en se drapant dans les apparences de la vertu, et c'est pour notre présente civilisation, devenu un modèle du genre et la règle de normalité. Je prendrai pour exemple celui de ce chef d'État de la nation la plus puissante du moment et qui sous le prétexte faussement vertueux de la défense des valeurs morales de l'occident a lâché les chiens de la guerre sur l'Irak, alors qu'il est maintenant établi que ce qu'il invoquait pour justifier ce qui est à l'origine de plus d'un million de victimes, ne reposait que sur des mensonges les plus grossiers et une cupidité de la pire espèce. La première imposture du vice c'est de se prétendre vertu, et lorsque le masque tombe, la deuxième imposture vient du fait qu'il n'hésite jamais à conserver ce pouvoir illégitime en utilisant la violence et l'injustice si nécessaire.

Mais revenons à des conceptions plus subtiles du vice, conceptions qui doivent être celles de tout individu dont la Conscience s'éveille en séparant le volatil du fixe, le lourd du léger, la vision de chair de la vision de l'âme. Le vice n'est pas seulement une disposition naturelle à faire le mal ; ça, c'est l'aspect le plus dense de la manifestation du vice. L'aspect un peu plus subtil réside aussi dans le fait d'être placé en situation de pouvoir faire le bien, et par négligence, faiblesse, ignorance ou irresponsabilité, ne pas le faire. Encore faut-il, pour savoir que l'on est en situation de faire le bien, avoir la Conscience suffisamment en éveil, et une faculté de discernement qui ne soit pas rendue impropre par l'accumulation des imperfections d'une ignorance. Ignorance qui n'est jamais reconnue en tant que telle, mais qui se drape, comme le vice dont elle est la parente la plus proche, dans les apparences d'un savoir qui n'est en réalité qu'une agrégation de faux semblants, de lieux communs, de tromperies culturelles, cultuelles, politiques, sociales et éducatives.

Nous avons vu, lors de la dernière étude sur la VOIX du SILENCE, que l'accession à la clairvoyance passait par l'affranchissement de l'âme de la servitude de la vision de chair et de ses illusions. Ce que je traduis régulièrement dans mes articles de l'académie d'Hermès Trismégiste par la formule : d'une pensée juste en Vertus. Ne pas être capable de discerner une pensée qui provient de la sphère organique d'une pensée qui provient de la sphère spirituelle (ici sans connotation religieuse), est une pratique nécessairement vicieuse par les imperfections, parasites et défauts que cela va engendrer. D'ores et déjà, nous pouvons constater (discerner) qu'entre la définition traditionnelle du vice (disposition naturelle à faire le mal) et celle beaucoup plus fine et profonde qui consiste à distinguer ce qui provient de la vision des cinq sens organiques, ou bien de la vision spirituelle de sa propre Conscience, il y a la différence qui sépare la pensée de l'action. La disposition naturelle à faire le mal est de l'ordre de l'action, alors qu'une pensée juste en Vertus est de l'ordre des principes intemporels desquels découleront toutes paroles et toutes actions.

Nous voilà rendus au centre du cercle des manifestations. Tout commence par la pensée, cette énergie source qui est dotée d'une âme. Dans toutes les grandes traditions ésotériques, philosophiques et religieuses, une bonne et une mauvaise pensée, méritent récompense ou châtiment, autant si ce n'est plus qu'une bonne ou mauvaise action. Dans la tradition orientale, comme nous aurons l'occasion de le constater à la suite des études sur le texte de la VOIX du SILENCE, une simple pensée, par son niveau vibratoire, induit des résonances sur les différents plans de manifestations. Une pensée subtile et vertueuse, par son très haut niveau vibratoire, fera vibrer une pensée correspondante sur les plans supérieurs ; une pensée épaisse et vicieuse fera retentir en échos la chorale des pensées de basse intensité vibratoire qui par sédimentation se retrouve sur le plan de la plus forte densité, et se situe donc nettement plus proche et accessible à cette pensée lourdement vicieuse. Le Corpus Hermeticum résume ce phénomène par la formule : seul le semblable connaît le semblable.

Poursuivons notre petit cheminement sur le chemin étroit de la perception la plus juste qu'il soit possible. Si donc, une pensée peut être soit vicieuse, soit vertueuse, celles que nous acceptons de faire nôtres (auxquelles nous nous identifions) doivent donc pouvoir être discernées selon ces deux critères. Tâche difficile tant elle devient rapidement complexe. D'abord elle implique que nous activions notre faculté volitive afin de ne plus accepter comme bon et vertueux, ce qui nous a été refilé sous ces appellations par d'autres qui n'avaient pas même pris la peine de savoir si cela était vrai ou pas. Il convient donc de peser chacune de nos pensées sur les plus fines balances des vertus dont la Force, la Justice, la Tempérance et la Prudence sont les cardinales. La Force nous permettra de vaincre une naturelle indolence et propension à accepter pour argent comptant toutes les fausses monnaies que l'on tente de nous refiler. Cette Force qui permet de lutter contre ce vice qu'est le moindre effort, nous impose de ne rien accepter sans que nous ayons pris la peine d'éprouver. Nous retrouvons cette nécessité d'éprouver les pensées dans le Nouveau Testament :

« Bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit; mais éprouvez les esprits, pour savoir s'ils sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde. » (Saint Jean épîtres chapitre 4).

Ou bien encore ce que disait Bouddha :

- « Ne croyez rien parce qu’on en fait courir le bruit, ou parce que beaucoup de personnes l’affirment, dit le Bouddha, ne croyez pas que ce soit une preuve de sa véracité. »
- « N’ajoutez aucune foi à quoi que ce soit, simplement sur la production d’une affirmation écrite par un ancien sage ; ne soyez pas certains que ce que ce sage a écrit, ait été revu par lui, ou qu’on puisse y ajouter foi. Ne croyez pas ce que vous vous imaginez, en pensant que, parce que la notion est extraordinaire, elle a dû être inspirée par un Déva, ou un être surnaturel. »
- « Ne croyez pas aux suppositions, c’est-à-dire, admettant quoi que ce soit d’emblée et au petit bonheur, pour en tirer ensuite vos conclusions – calculant vos numéros deux, trois ou quatre, avant d’avoir établi votre numéro un. »
- « Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres et de vos instructeurs ; ne croyez et ne pratiquez rien seulement parce qu’ils le croient et le pratiquent. »
« Moi (le Bouddha) je vous dis à tous, vous devez de par vous-même savoir que cela est mal, que c’est punissable, que c’est réprouvé par les sages ; une telle croyance ne fera de bien à personne, mais causera de la souffrance ; et alors, lorsque vous le saurez, évitez-là. »

Voilà manifestement où commencent le mal et le véritable vice, lorsque la Conscience n'est pas capable d'en faire une distinction subtile. Avant de faire le mal, dans sa manifestation la plus brutale, la plus violente et la plus stupide, il faut d'abord en cultiver le germe et ce germe réside dans la/les pensées. Accepter d'héberger dans sa Conscience des pensées que nous n'avons pas eu la Prudence d'éprouver pour savoir si elles comportaient des impuretés vicieuses, est déjà cultiver une disposition naturelle à faire le vice. Cela peut provenir d'un état d'ignorance qui n'est hélas pas une excuse. La tradition hermétique met d'ailleurs en tête de ses douze péchés, celui de l'ignorance, car l'ignorance ne permet pas de pratiquer la Justice qui repose sur la Connaissance. La Justice discerne ce qui est bien de ce qui est mal, et ce discernement n'est opérationnel que s'il repose sur un patrimoine de Connaissances solidement éprouvées, sinon aucune pensée ne peut prétendre être juste en Vertus, et donc avoir la Force vibratoire de s'aligner sur les Lois de la Divine Providence. Il n'y a pas de rédemption sans repentir sincère, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans de précédents articles, et ce repentir sincère est justement celui que manifestera la volonté d'épurer sa Conscience de pensées qui ne sont pas en harmonie vibratoire avec les nécessités d'une élévation spirituelle libératrice. Avoir cette pensée de repentir sincère est un début qui devra être éprouvé durablement par la parole et l'action, pour devenir un élément permanent de sa propre Conscience, c'est-à-dire obtenir la rédemption souhaitée. Cette rédemption ne s'obtient pas dans n'importe quelles conditions, elle est automatiquement accordée uniquement lorsque les conditions de son obtention sont réunies.

L'accession à ses facultés supérieures, passe évidemment par la pratique du discernement du vice et de la vertu. Cette pratique, pour l'officiant du Grand Oeuvre, ne se fait pas parfois, de temps en temps, ou pendant des périodes de loisirs... C'est pour l'impétrant de la Science Hermétique une ardente et constante nécessité. C'est pour l'oeuvrant au noble Art des arts, la condition essentielle sans laquelle aucune transmutation spirituelle n'est possible. Enfin, ce qui n'est pas négligeable, par son pouvoir d'augmenter considérablement le niveau vibratoire d'une pensée, la pratique des vertus est une des clés de la Haute Magie, mais ce n'est pas encore le moment d'en ouvrir la porte.



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